Women’s voices: Maria-Carmen Medrano
Pour ce nouvel épisode de notre série Women’s voices réalisé pour le journal BrainStorm, Sara Carracedo s’entretient avec Maria-Carmen Medrano, neuroscientifique originaire de Cabreton (La Rioja, Espagne). Elle a récemment été nommée maîtresse de conférences en physiologie animale et humaine à l’université de Bordeaux. Dans cette interview, elle revient sur son parcours scientifique et partage ses réflexions sur les exigences de la parentalité parallèlement à une carrière scientifique.
Sara Carracedo : Pouvez-vous nous parler de votre parcours dans le domaine des neurosciences ?
Maria Carmen Medrano : Je suis titulaire d’un doctorat en pharmacologie et j’ai mené une carrière postdoctorale internationale dans le domaine des neurosciences, travaillant dans des laboratoires universitaires de premier plan en Espagne, en France, au Royaume-Uni et au Canada. Mes recherches portent sur la manière dont la dépendance et la douleur chronique affectent le cerveau, en particulier en ce qui concerne l’attention et la cognition. J’utilise une combinaison de techniques (électrophysiologie, pharmacologie et analyse comportementale) pour explorer les circuits cérébraux impliqués, de la moelle épinière jusqu’à des régions telles que le cortex cingulaire, le locus coeruleus et la zone tegmentale ventrale.
Parallèlement, j’ai également enseigné et encadré des étudiants de premier cycle et de master, ce qui a constitué une partie importante de mon parcours. Depuis novembre 2023, je travaille dans l’équipe « Motor control and cognition » (MOCOCO) à l’INCIA. Mon projet actuel examine comment la noradrénaline module le circuit corticospinal, en mettant l’accent sur l’intégration sensorimotrice et ses applications cliniques.
Et plus récemment, ce qui me réjouit particulièrement, j’ai été nommée Maîtresse de Conférences (maître de conférences) en physiologie animale et humaine. C’est une étape importante pour moi, vers laquelle j’ai travaillé au cours des dix dernières années de recherche et d’enseignement.
Sur quoi portent vos recherches actuelles à l’INCIA ?
À l’INCIA, je développe un projet de recherche translationnelle et intégrative axé sur la neurophysiologie de l’intégration sensorimotrice, dans des conditions physiologiques et pathologiques, en mettant particulièrement l’accent sur le rôle de la modulation noradrénergique. En étudiant comment la douleur et le mouvement interagissent, de la moelle épinière au cortex, y compris la régulation autonome, je vise à mieux comprendre les relations complexes entre la nociception, le contrôle moteur et les fonctions cérébrales supérieures. La douleur aiguë joue un rôle protecteur crucial, guidant les ajustements moteurs pour éviter les blessures. Mais lorsque la douleur devient chronique, elle peut perturber la fonction motrice, entraînant une perte de force, de coordination et de mobilité. Mon projet vise à explorer en profondeur ces interactions réciproques et à identifier comment elles sont modulées par les circuits noradrénergiques, ce qui pourrait aider à orienter des approches thérapeutiques plus intégrées. Pour étudier ces mécanismes, je combine des enregistrements électrophysiologiques chez les rongeurs, la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) chez les humains et la pupillométrie chez les deux espèces comme lecture non invasive de la neuromodulation noradrénergique.
En tant que mère, comment avez-vous géré les exigences de la parentalité parallèlement à votre carrière scientifique ? Pensez-vous que vos responsabilités familiales ont eu une incidence sur votre visibilité ou vos opportunités dans le domaine de la recherche ?
Je suis devenue mère à la fin de mon troisième projet postdoctoral. Mon contrat a pris fin juste au moment où mon fils est né, et au même moment, mon partenaire préparait son doctorat. Nous sommes tous deux étrangers et, sans famille à proximité pour nous aider, nous avons dû affronter seuls les premiers mois de la parentalité. Je me suis sentie très soutenue par mon équipe et mon superviseur, et j’ai pris la décision de faire une pause dans la recherche, simplement parce que je le voulais. C’était la bonne décision pour moi et, comme par hasard, la COVID est arrivée au même moment, ce qui, d’une certaine manière, a renforcé ce choix.
Le retour n’a pas été facile. J’ai réussi à trouver de nouvelles opportunités postdoctorales, à continuer à publier et à progresser en tant que chercheuse. Mais gérer le travail et l’éducation d’un enfant, sans aide extérieure, alors que nous étions tous les deux dans des situations académiques précaires, a été incroyablement exigeant. L’incertitude du marché du travail devient particulièrement pesante lorsque quelqu’un d’autre dépend de vous. J’ai toutefois eu la chance d’avoir un partenaire très compréhensif, qui a traversé des épreuves similaires aux miennes, et nous comprenons profondément les pressions et les besoins de l’autre.
Certaines opportunités se présentent plus tard, d’autres disparaissent tout simplement. Mais j’ai appris à rester concentrée et confiante, et à continuer d’avancer tout en profitant de la vie de famille et de tout ce qu’elle apporte. Ce n’est pas facile, mais cela m’a appris la résilience, la clarté et a renouvelé ma motivation.
Quels soutiens structurels — ou leur absence— avez-vous rencontrés en matière de garde d’enfants ou de congé parental dans le milieu universitaire ? Comment pensez-vous que les institutions pourraient évoluer pour mieux soutenir, en début de carrière, les scientifiques qui ont une famille ?
Les aides à la garde d’enfants pour les personnes de recherche en début de carrière sont malheureusement très rares et coûteuses, en particulier pendant les premières années où les besoins de l’enfant sont les plus importants. Compte tenu des salaires modestes et des conditions précaires des doctorants et doctorantes et des post-docs, les solutions de garde d’enfants abordables et flexibles sont tout simplement hors de portée pour beaucoup. De plus, des difficultés pratiques telles que les vacances scolaires ou les jours fériés — par exemple, les mercredis sans école en France — rendent impossible de travailler une semaine complète sans interruption ni solution supplémentaire pour la garde des enfants.
Si les universités et les organismes de recherche proposent certaines structures d’accueil pour les enfants, celles-ci sont principalement destinées au personnel permanent. Il existe très peu d’offres spécialement adaptées aux contractuels, qui sont pourtant celles et ceux qui ont le plus besoin de ce type d’aide, compte tenu de la précarité de leurs contrats et de l’incertitude de leur avenir. Cette lacune constitue un véritable obstacle pour les scientifiques en début de carrière qui tentent de concilier vie familiale et recherche.
Les institutions pourraient évoluer en développant des programmes de garde d’enfants plus inclusifs et plus flexibles, accessibles indépendamment du statut contractuel. Des subventions ou des partenariats avec des prestataires locaux de services de garde d’enfants afin de rendre ces services abordables seraient d’une grande aide. Un soutien spécifique aux personnes étrangères, qui n’ont souvent pas de famille à proximité, est également essentiel. Des horaires de travail plus flexibles ou des options de travail à distance, en particulier pendant les vacances scolaires, pourraient également alléger la pression.
En fin de compte, la création d’un environnement dans lequel ces scientifiques, en début de carrière et ayant une famille, se sentent soutenus, améliorerait non seulement leur bien-être, mais favoriserait également l’égalité et la stabilité professionnelle des personnels talentueux dans le milieu universitaire.
Quel conseil donneriez-vous aux chercheuses en début de carrière qui envisagent de fonder une famille ?
Mon conseil serait le suivant : si c’est ce que vous voulez, foncez ! Fonder une famille et poursuivre une carrière scientifique peut certes être difficile, mais c’est aussi profondément gratifiant et tout à fait possible. La clé est de planifier autant que possible. Dès le début de votre grossesse, commencez à réfléchir aux options de garde d’enfants : renseignez-vous sur les possibilités qui s’offrent à vous, discutez avec d’autres chercheuses ou amies qui ont vécu cette expérience, et n’hésitez pas à demander des conseils et du soutien.
Il est essentiel de se constituer un bon réseau de soutien, qu’il s’agisse de votre partenaire, de vos collègues ou de vos amis, car il est plus facile de concilier famille et recherche lorsque vous n’êtes pas seule. Soyez également indulgente envers vous-même : il y aura des moments où vous vous sentirez dépassée ou en retard, et c’est normal. Il est important de rester flexible et patiente, et de vous rappeler que votre parcours professionnel peut être différent de celui des autres, et que ce n’est pas grave.
Enfin, continuez à communiquer ouvertement avec vos superviseurs ou vos équipes au sujet de vos besoins et de vos défis. Beaucoup de gens sont plus compréhensifs que vous ne le pensez, et ce dialogue peut contribuer à créer un environnement plus favorable pour vous et pour ceux qui vous suivront.
A propos de Women’s Voices
Women’s Voices est une interview publiée dans Brainstorm et sur le site web de Neurocampus, créée en partenariat avec le Neurocampus Parity and Inclusion Committee (NeuroPIC), groupe local engagé dans la promotion de l’égalité et l’organisation d’actions visant à combler le fossé entre les femmes et les hommes dans le monde universitaire. L’objectif de cette section est d’accroître la visibilité des chercheuses en début de carrière au Neurocampus de l’Université de Bordeaux. Grâce à ces interviews, nous souhaitons non seulement mettre en lumière leurs réalisations, mais aussi servir d’inspiration à notre communauté scientifique et à d’autres femmes scientifiques.